Je ne suis pas Ulysse

9 janvier 2017

Je ne suis pas Ulysse. Je ne serai jamais Ulysse. Je ne reviendrai pas en héros. Ni en zéro non plus. Je reviendrai en étant moi-même. Sans plus. Rien de moins. Ma Pénélope à moi m’attend. Reine de rien. Reine d’amour.

J’arrive fatigué, lourd, chargé d’émotions. Je suis beau. Je me suis bien habillé. Pour ma blonde. Pour mes parents. Pour mes amis, avec qui j’ai vagabondé. Pour eux, surtout. Leur rendre honneur une dernière fois. Merci.

On vient de franchir un seuil de non retour. On est fait. Comme des rats. Je comprends les gens. Ils parlent français, mon français à moi. Malgré tout, je me sens déboussolé. Je regarde autour de moi, j’angoisse un peu. Occupez-vous de moi les gars, s’il vous plait. Je jette un regard furtif à mes amis. Ils ont l’air tout aussi perdus, mais tellement légers. Ça semble si simple. Moi, je me laisse porter sous mon gros sac. Trois mois à le trimballer partout en Europe.

Il était lourd hier, mais est si léger aujourd’hui. Son poids est différent. C’est le sable, les cadeaux, le linge sale. C’est le poids des souvenirs. C’est lourd. Il en est rempli. Tellement rempli que j’ai dû en laisser là-bas. Sous les oreillers de toutes les auberges. Sous les sièges de tous les trains. Dans les verres vides de tous les bars. Sur les bouches de toutes les filles (pardonne-moi mon amour, pardonne-moi). Tant de souvenirs perdus, oubliés, donnés, sans le moindre regret. Plein de rencontres, plein de visages que je ne reverrai surement jamais. Tellement de moments partagés. Tellement d’occasions saisies au bon moment. Tellement de promesses de se revoir. Oui oui, à Barcelone l’an prochain ! Bien sûr, on se retrouve à Bol, sur l’ile en Croatie en 2013.

De gentils mensonges qui font du bien, qui réchauffent le cœur. On s’assure qu’ils ne nous oublieront pas. Mais ils ne furent nos amis que quelques jours seulement. Quelques jours intenses, fabuleux, improbables, irréels. À 6000 km de chez soi. Des rencontres inoubliables. Je me demande si mes amis en Suède, en Allemagne, en Espagne ou en Corse se souviennent de moi comme je me souviens d’eux. J’espère. Ils me feront vivre longtemps. Je les aime. Tous.

On arrive face à la réalité. Mon corps est ici, devant deux drapeaux fleuris que je reconnais trop bien. Mais ma tête est ailleurs. Elle est loin, très loin. Et ne veut pas revenir. Elle s’entête à faire à sa tête, ma tête. Celles de mes amis aussi. Nous rions nerveusement. Nous voyons au loin nos parents. Une scène que nous revivons à l’envers. Trois mois plus tôt, nous les quittions dans des adieux joyeux. Nous leur avions jeté un dernier coup d’œil avant de traverser les douanes. Et c’était fait, nous étions partis pour trois mois, quelque part en Europe. Nous même ne savions pas où. Nous partions sans eux. Et aujourd’hui, la scène se vit à l’inverse. Nous repartirons avec eux. Dommage.

Ils ne nous ont pas vu. Heureusement. Nous avons encore un moment pour se dire que ce n’est pas fini. Peut-être pourrions-nous rebrousser chemin et repartir pour Paris. Ce serait si simple. Un petit mois de plus, quelques semaines alors. Seulement quelques jours. S’il vous plait, pas longtemps. Ou rien qu’un après-midi à flâner sur les quais de la Seine. Rien de nouveau ne nous attend ici. Je le sais. On le sait. On se regarde.

Un regard long comme trois mois.

Un regard beau comme les plages de Corse, comme ses voiliers et ses montagnes, et à la fois dur comme le regard de ses plus vieux habitants.

Un regard chaud comme les rues sinueuses de Séville, comme la Rambla de Barcelone ou le soleil de Cadiz.

Un regard écrasant, plein d’espoir comme l’histoire de Croatie et sa jeunesse, comme Zagreb et ses toits en tuiles orange, doux comme sa côte et ses eaux azurées.

Un regard triste et long comme Berlin et son mur. Coloré comme les graffitis qui tatouent cette ville grise.

Comme un retour au bercail. Un vrai. Définitivement.

Après cette pause intemporelle, ce petit moment d’amitié plus fort que tout qu’on a réussi à voler à l’horloge comme on sait si bien le faire, on marche. Parce qu’il le faut bien.

Vers nos parents. Vers ma blonde. Je me suis tellement ennuyer d’elle. J’ai hâte de la serrer dans mes bras. De l’embrasser. De lui faire l’amour. De la sentir. Une odeur de crème solaire, de chaleur, de soleil. Une odeur d’été. Ca lui fait si bien. C’est son parfum préféré. Le mien aussi.

C’est la marche fatidique.

On arrive au bout du chemin. La boucle est bouclée. On tournera la page demain. On écrira le dernier point du livre. Ça fini là où ç’a commencé. C’est souvent comme ça. Dans la plupart des histoires. On part toujours pour revenir. On avance si peu. On fera nos remerciements plus tard.
Et nos dédicaces.

Un mur se dresse devant moi. Je ne veux plus avancer, mais mes jambes me portent doucement. Je deviens sourd un instant. La pression est grande. Ça m’a frappé d’un coup. Un bon coup dans le ventre, un de ceux qui coupent le souffle. Je ne suis pas le seul. Eux aussi, ils font pareil. J’ai mal pour eux. Ils ont mal pour moi. Détends-toi. L’un deux me tape l’épaule doucement. Un sourire chaleureux me redonne courage. Merci. Merci pour tout.

Salutations d’usages. Oui oui, tout s’est bien passé (serre des mains, donne des becs). Oui oui, on est vivant (rires, pleurs, accolades). Les questions et les réponses s’enchainent machinalement mais je n’entends plus rien. Encore. Ma surdité revient. Je ne veux rien entendre. Tout va trop vite. Je me sens étouffé. À quelle heure part le prochain train pour Strasbourg? Montréal, ville lointaine.

Mes souvenirs me sont gentiment arrachés. Rien de méchant. On me viole mon coffre à souvenirs. Arrêtez, laissez-les moi. Ce sont les miens. Je m’inquiète. Comme s’ils me quitteraient pour toujours si je les partageais. Malgré toute mon appréhension, ca me fait mal. Ma bouche s’articule et ma langue danse et crache de beaux mots tandis que ma tête me dit d’arrêter et que mes trippes se serrent. Mes jambes tremblent et mes yeux me piquent. Je ne peux pas pleurer. Voyons. Pas à mon âge. Pas pour si peu. Mes larmes restent en moi. J’aimerais tant pleurer. Je résiste. Tout le monde résiste. C’est plus poli de toute façon.

J’angoisse. Mais je sourie. Je rassure ma mère.

Pincez-moi s’il vous plait, je veux me réveiller sur le Vieux Continent. Je veux aller m’acheter un pain au chocolat à la boulangerie en bas de la rue et faire rire de mon accent. Je veux me perdre dans une langue que je ne comprends pas. Je veux lire une carte indéchiffrable. Je veux courir après mon train, le manquer et prendre le prochain. Je veux siester au rythme des villes endormies l’après-midi. Paresser en communauté. Je veux boire l’apéro tard le soir et souper tôt dans la nuit. Je veux dire gracias, thank you, danke, hvala, grazie, dank u, tack. Je veux dire merci.

Oui maman, j’arrive. Oui oui, le trafic, je comprends.

Je suis revenue mon amour, on va manger ensemble ce soir. Et demain aussi. Oui, après-demain aussi.

Salut les gars. Merci pour le voyage.

Non, je ne suis pas Ulysse. Je ne serai jamais Ulysse. Je ne reviendrai pas en héros. Ni en zéro non plus. Je reviendrai en étant moi-même. Sans plus. Rien de moins. Ma Pénélope à moi m’attend. Reine de rien. Reine d’amour. Je vivrai d’autres aventures. Mon Odyssée arrivera bien vite. Je suis confiant.

Christophe Dubois

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